Oryæ était encore assommé de toutes les informations que sa mère avait révélées. Il n'avait pas prononcé un mot de tout le retour, et avait peiné à suivre le bavardage de Faith, qui d'ailleurs, n'avait finalement pas parlé à sa mère de sa demande originelle. Avait-elle changé d'avis face à l'histoire qui leur avait été racontée ? Il n'arrivait pas à savoir. Ses pensées étaient comme embuées, il y avait trop à trier. Et, lorsque, main dans la sienne, la septième année avait prononcé ces derniers mots, évoquant enfin ce qu'ils venaient d'entendre, il se rendit compte qu'il ne savait même pas ce qu'il voulait prendre, comme décision.

Alors, il laissa sa nouvelle amie embrasser sa joue, puis partir d'un même geste, et fit demi-tour. Ce n'était pas son dortoir, habité des cris nocturnes de Carter, qui l'aiderait à réfléchir. Parcourant les couloirs d'un pas hasardeux – il ne pouvait pas ce soir aller dans son coin habituel, que sa mère hantait peut-être encore, il finit par se poser dans un coin, sous une fenêtre, et sortit un parchemin de son sac.

Éclairé par le soleil couchant, il sortit sa plume et, de plus en plus rapidement, il se mit à écrire tout ce dont il se souvenait. L'unique punition d'Alanna Spall, la prophétie de Faith, l'histoire de sa mère. Il y avait des trous, ici et là, notamment dans les vers qui avaient été prononcés par son amie. Il avait beau y réfléchir, il ne se souvenait pas. Comme si le récit de la vie passée de sa mère avait fait naître en son esprit une brume à son image, l'empêchant de réfléchir correctement. Il avait appris beaucoup de choses aujourd'hui – probablement trop, et c'était comme si son propre cerveau tentait de lui dire d'arrêter. Il n'aimait pas ça.

Deux sorciers liés, âmes jumelles en transe, Leur amitié naissante, ______ une alliance. Destin et mort, ______ danse _____ Revivront-ils encore cette histoire enchaînés ?

Les mots ne lui revenaient décidément pas. Et pourtant, ça l'embêtait : cette prophétie parlait manifestement de lui et Faith. Ou peut-être pas, peut-être que c'était tout autre chose, après tout, il ne connaissait la jeune fille que depuis aujourd'hui, était-ce suffisant pour qu'ils soient qualifiés d'âmes jummelles ? Était-ce même le bon moment pour prononcer le mot amitié ? Oryæ n'était pas habitué à tout ça, il ne savait pas. Peut-être qu'il se faisait des idées. Après tout, il n'était pas un sorcier très intéressant. Pourquoi aurait-il le privilège d'avoir des prophéties écrites sur lui ? Oui, après tout, il ne savait rien.

Mais Faith, elle, elle savait. Il ignorait ce qu'elle savait, mais elle possédait indéniablement un savoir qu'il n'avait pas. Ses avertissements, cumulés au fait qu'elle semblait mieux connaître l'histoire de sa mère que lui – n'avait-elle pas su, sans même que le fantôme ne le dise, qu'Elyos était mort ? Et puis, c'était de sa bouche que la prophétie était sortie. Les cours de divination sur le troisième œil étaient loin dans la mémoire d'Oryæ – mais les prophéties, ça devait être comme des rêves, n'est-ce pas ? Mettant en ordre ce que le voyant savait déjà ?

Même si cela faisait peur, même si son instinct lui soufflait que c'était une mauvaise idée, Oryæ avait envie de s'y rendre, au lac noir. Il s'en voulait de ne pas avoir été assez curieux ces cinq dernières années, et il voulait se rattraper. Mais il voulait aussi être utile à Faith. Et pour ça, il devait réfléchir. Trouver les liens manquants.

Il fixait le récit de sa mère, désormais inscrit sur son parchemin, juste en dessous de la prophétie. Tout semblait crédible, vraisemblable. Rien ne se contredisait réellement. Et pourtant... Quelque chose clochait. Il ne savait pas quoi, mais il le sentait. Il y avait, quelque part, un tour de passe-passe à côté duquel il était passé.

Ce qui l'intriguait le plus, c'était la réponse de sa mère, par rapport à la mort d'Elyos. « Il est mort comme moi, juste après moi », avait-elle dit. Si la défunte n'avait jamais parlé des causes exactes de sa mort, elle avait toujours présenté ça comme un accident. Quelque chose de bête, d'imprévu, qui aurait pu arriver à n'importe qui. Mais quel genre d'accident tuait à la suite une sorcière et celui qu'elle aimait ? Comment ces deux jeunes gens pouvaient-ils être morts l'un après l'autre, des mêmes causes, seulement du fait des hasards de la vie ? Alors que les deux semblaient être en contact avec une mage noire absolument terrifiante ? Dans un roman, Oryæ aurait vite pensé à l'existence d'un meurtrier. Mais, que dire de la réalité ?


Le lendemain, donc, il retrouva Faith, ses yeux bruns cette fois un peu plus cernés que la veille. À force de réfléchir, il avait assez peu dormi. Mais ce n'était pas grave, il avait l'habitude de ces insomnies. Il se coucherait tôt ce soir, avec, espérons-le, un cerveau vidé de ses questions, et tout irait bien.

Arrivant près de son amie, toujours le même sac sur l'épaule, rempli de tous les parchemins qu'il avait rédigés la veille, il prit son courage à deux mains pour se mettre à parler. Car il savait que si Faith commençait, il n'oserait jamais dire ce qu'il pensait, et, en plus de vouloir prouver son utilité et son raisonnement, il sentait que c'était important.

ORYÆ · Écoute, c'est gentil de vouloir me protéger, mais, je veux savoir. Parce que... Enfin, tu vois, c'est pas contre elle, mais ma mère, elle a jamais été du genre à... Aimer beaucoup les gens. Je vis avec elle depuis cinq ans, et depuis tout ce temps, elle n'a eu, enfin, à ma connaissance, qu'une seule amie. Et cette amie... C'est une personne super normale. Genre, tellement normale qu'elle est devenue moldue. Elle n'a même plus vraiment de baguette ! Et puis, elles sont amies, mais même ça, je sais pas comment c'est arrivé, quand ma mère m'a adopté, elles vivaient déjà ensemble et...

Perdu dans ses pensées, il avait commencé à dériver sur le sujet de Jessica. Mais la question n'était pas vraiment là. Parce que, justement, Jessica Wonders était le contraire même des problèmes. Et il voyait mieux sa mère mentir que son ancienne colocataire – après tout, cette dernière avait une maison arc-en-ciel, en plein coeur de Londres. Ça aurait été gros comme mensonge.

ORYÆ · Bref, je me perds, mais... Ma mère, c'est pas son truc d'aimer les gens. Et là, j'apprends qu'elle était liée à ce mec, Elyos Fawkes, mais aussi à une mage noire superpuissante... Et ça, c'est pas vraiment son genre. Enfin, quand elle nous l'a raconté, elle avait l'air sincère mais...

Mais c'était toujours plein de flou, plein de mystères. Et tout cela avait tourné dans le cerveau d'Oryæ, toute la nuit, jusqu'à ce qu'il en arrive aux scénarios les plus compliqués.

ORYÆ · Mais, au final, je ne suis même pas sûr qu'elle ait été amoureuse de lui. Ou peut-être que je me trompe, et qu'elle l'est vraiment mais... Enfin, je te crois, quand tu me dit qu'elle nous cache des choses.

Comme elle l'avait fait hier, Oryæ attrapa la main de Faith, et tenta de la regarder dans les yeux – ce qu'il ne savait pas bien faire, à vrai dire. Alors, il promena son regard entre les deux yeux clairs de la Fawley, et, décidant de s'arrêter sur l'un d'entre eux, il finit par dire :

ORYÆ · T'as l'air d'en savoir beaucoup plus que moi, Faith. Et pourtant, t'as encore des questions. Donc je te crois, quand tu me dis que c'est compliqué, et moi aussi, j'ai peur du danger mais... Je crois que ta prophétie, que tu as dite dans le bureau du concierge, elle nous disait de former une alliance. Et puis je veux pas que tu sois toute seule en danger, juste pour comprendre ma mère. Et surtout, je veux tout savoir avec toi.

Il déglutit. Il n'avait pas autant l'habitude de parler. Recalant une boucle rebelle qui était tombée devant ses yeux, il posa son regard sur le lac – c'était moins humain, et moins compliqué à fixer que le joli visage de son amie.

ORYÆ · Je veux pas que tu me caches ce que tu sais. Et je veux chercher avec toi.